La légende de la ville d'Ys
SUR LA LEGENDE D'IS, LES NOTES DE TH. HERSART DE LA VILLEMARQUE,
La thèse d'une origine celtique de cette légende
La tradition relative à la destruction de la ville d'Is remonte
au berceau de la race celtique, car elle est commune aux trois grands rameaux
de cette race : les poètes bretons, gallois et irlandais. ; on la trouve localisée
en Armorique comme en Cambrie ou en Irlande. La possibilité de rapprocher ici
les textes, de les compléter, de les contrôler les uns par les autres, est pour
la philologie, d'un extrême intérêt … Ils s'accordent à retracer avec une concise
et effrayante énergie une catastrophe dont l'histoire n'a conservé qu'un vague
et incertain souvenir. Les Armoricains font inonder la nouvelle Sodome par le
débordement d'un puits; Les Gallois et les Irlandais par celui d'une fontaine.
Selon les uns et les autres, la fille du roi est la cause de l'inondation, et
Dieu punit la coupable en la noyant, et en la changeant en sirène.
Chose plus extraordinaire encore, la version galloise, qu'on a lieu de croire
du cinquième siècle, et l'œuvre du barde Gwyddno, mais dont le manuscrit du
moins appartient au douzième siècle, contient deux strophes qu'on retrouve presque
littéralement dans le poème armoricain. Le barde gallois commence de la manière
dont celui-ci finit ; quelqu'un vient réveiller le roi ( Le poète l'appelle
ici Seithenin ) :
"Seithenin, lève-toi ! et regarde la terre des guerriers,
les campagnes sont envahies par l'océan"
Puis le poète poursuit de ses malédictions la princesse :
"Maudite soit la jeune fille qui ouvrit, après son souper, l'huis de la fontaine,
la barrière de la mer! Maudite soit l'éclusière qui ouvrit après le péché, la
porte de la fontaine à la mer sans frein ! Les gémissements des ombres se sont
élevés des plus hauts sommets de la ville, et montent jusqu'à Dieu : le besoin
suit toujours l'excès ".
Les marins gallois de la Baie de Cardigan, qui occupe aujourd'hui,
dit-on, le territoire submergé, prétendent voir, sous les eaux les ruines d'anciens
édifices ; ceux de la baie de Douarnenez, en Basse Bretagne ont la même prétention.
" Il se trouve encore aujourd'hui, disait le chanoine Moreau, au XVIème siècle,
des personnes anciennes qui osent bien assurer qu'aux basses marées, étant à
la pêche y avoir souvent vu de vieilles masures de murailles.
" Enfin, selon Giraud de Barry, les pêcheurs irlandais du XIIème siècle, croyaient
voir briller sous les eaux du lac qui recouvrent leur ville engloutie, les tours
rondes des anciens jours.
Ainsi dit poétiquement Thomas Moore, " dans ses songes sublimes, la mémoire
souvent surprend le rayon sublime du passé ; ainsi, soupirant, elle admire,
à travers les vagues du temps, les gloires évanouies qu'il couvre".
Dans la tradition originale, c'est la fille de Gradlon et non le prince qui se noie, fuyant à toute bride la capitale envahie par les flots qui le poursuivaient lui-même et qui mouillaient déjà les pieds de son cheval, il emportait sa fille en croupe, lorsqu'une voix terrible lui cria par trois fois :" repousse le démon assis derrière toi". Le malheureux père obéit. Et soudain, les flots s'arrêtèrent.
La tradition populaire autour de la légende
Avant la révolution, on voyait à Quimper, entre les deux tours
de la cathédrale, le roi Gradlon monté sur son fidèle coursier: mais en 1793,
son titre de roi lui porta malheur. Des vieillards se souviennent d'avoir assisté
à une cérémonie populaire qui avait lieu autrefois autour de sa statue équestre.
Le jour de la Sainte-Cécile, un ménétrier, muni d'une serviette, d'un broc de
vin, et d'un hanap d'or, offert par le chapitre de la cathédrale , montait en
croupe derrière le roi. Il lui passait la serviette autour du cou, versait du
vin dans la coupe, le présentait au prince, comme l'eut fait un échanson royal,
et, la vidant lui-même ensuite, jetait le hanap à la foule, qui s'élançait pour
le saisir. Mais quand l'usage cessa, le hanap d'or dit-on, n'était plus qu'un
verre. Puisqu'on a rétabli de nos jours la statue équestre, pourquoi aussi la
fête primitive ?
Une légende très ancienne ?
Une dernière particularité intéressante de l'histoire poétique de Gradlon, et
qui peut avoir un fondement historique, c'est la mention de cette clef d'or
qu'il portait en sautoir. Childebert, selon Grégoire de Tours, en portait une
semblable au cou.
Le poème de la submersion d'Is offre donc par le fond plusieurs preuves incontestables
d'une antiquité reculée. Sa forme accuse la même date, il est composé comme
celui du barde Gwyddno, dans le rythme ternaire et dans le système de l'allitération.
La langue présente d'assez grandes difficultés ; plusieurs tournures grammaticales
et plusieurs expressions du poème n'étant plus en usage. Quant à son mérite
littéraire, M. Tom Taylor qui l'a si bien traduit en anglais s'exprime ainsi
:" la rudesse pittoresque qu'on y remarque ne manque ni de trait ni d'art dramatique,
ni de vie ; l'action y est vivement mise en saillie." Et l'éminent traducteur
ajoute : " Sous ce rapport, ces ballades bretonnes semblent incomparables dans
leur genre".